On sort de l’ascenseur sur cet étage fatidique. À droite, la pédiatrie. À gauche, l’unité mère-enfant. On tourne à gauche et on marche en silence, sachant qu’on s’apprête à vivre une des pires journées de notre vie. En arrivant devant le bureau de l’accueil, on ne sait plus quoi dire, comme si le dire à voix haute rendrait la réalité pire qu’elle ne l’est déjà. Heureusement, la docteure était là. On a été pris en charge immédiatement. On nous a conduits à notre chambre. La dernière à droite au bout du couloir, question qu’on soit mis à l’écart vu notre situation.
Je ne m’attendais pas à découvrir une salle d’accouchement aussi tôt. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi grand, ou peut-être est-ce moi qui me sentais toute petite. Entourée des couleurs éclatantes de la chambre jaune et bleu, je fondis en larmes encore une fois. Mon monde avait arrêté de tourner il y avait quelques minutes à peine.
À mon dernier rendez-vous de routine, mon médecin m’avait annoncé que le résultat des tests de dépistage de la trisomie était anormal. C’était un choc en soi, mais le pire était encore à venir. On n’a pas entendu le cœur. Bon, ce n’est pas la première fois qu’on ne l’entend pas donc comme auparavant, mon médecin va chercher la petite machine d’échographie et on vérifie que tout va bien. Mais le bébé n’est pas placé pour qu’on voie le cœur et il ne bouge pas. J’étais partie ce mardi après-midi là de l’unité de médecine familiale avec un bagage de peur, d’anxiété, de nervosité, mais contenant aussi un grain d’espoir. Le lendemain, je passais le test d’ADN, on me donnait mon rendez-vous pour les tests de génétique, puis mon rendez-vous pour l’échographie afin de vérifier le cœur.
Vendredi, 13 h 40, échographie pour le cœur. Dès mon arrivée, on me pose des questions sur mes antécédents de grossesses. Je réalise bien malgré moi que mon passé gruge mon optimisme face à la situation : antécédent d’œuf clair et de fausse couche. Trois autres couples sont dans la salle d’attente. On les voit sortir les uns après les autres, sourire aux lèvres avec les photos de l’échographie. Puis c’est notre tour. Nous sommes les derniers. Je réexplique la situation. À chaque fois que j’en parle à voix haute, une part d’espoir disparait.
Notre bébé est là, dans le sac de grossesse. Mais il n’y a aucun mouvement. J’ai beau souhaiter de toute mes forces qu’il y ait un petit mouvement, le moindre signe de vie, il n’y a pas même une petite ligne qui bouge pour montrer un cœur qui bat. Le docteur nous montre le cœur sur l’écran et confirme ce que j’avais déjà compris. Le cœur ne bat pas. Toutes mes espérances, mon optimisme, ma vie ont éclaté en mille morceaux. Je n’ai pas pu retenir mes larmes. Ma vie s’est dissoute à cet instant. Mes projets, mes rêves, mes habitudes, mes ambitions, tout. Tout se déversait à chaudes larmes. La vie était bouleversée à tout jamais.
On m’explique mes options, procédé à une amniocentèse, puis nous indique où nous rendre. Mes larmes ne cessent jamais de couler. J’ai bien conscience de créer un froid en entrant dans l’ascenseur, mais je ne peux contrôler cette douleur. Je me sens seule, même si mon conjoint est avec moi et qu’il est aussi peiné, je me sens seule. J’ai l’impression d’être la seule personne qui a vraiment aimé ce petit être. D’être la seule qui souriait constamment à y pensant. D’être la seule à avoir mal à l’âme, à me sentir vide, à agir machinalement pour réussir à me rendre où il se doit. Mon conjoint continue d’être mon pilier, il essaie de répondre au moindre de mes besoins même si j’ignore ce que je pourrais vouloir, même s’il a aussi de la peine.
Vers 16 h 30, on me donne la première dose pour provoquer l’accouchement. Puis les doses se suivent au 4-5h. Les infirmières viennent nous dire « au revoir » et se présenter à chaque début de chiffres. Elles sont toutes pleines de compassion, mais on sait qu’elles préféraient toutes ne pas vivre ce moment. Nous aussi, on aurait préféré ne pas vivre ce moment. On aurait préféré rencontrer cette merveilleuse équipe dans d’autres circonstances. Les circonstances habituelles de cet étage, celle de donner la vie.
Pendant la nuit, j’ai commencé à avoir des contractions. Je me suis sérieusement demandé pourquoi je faisais tout ça, pourquoi je devais vivre une telle épreuve, pourquoi je devais souffrir physiquement en plus de toute la souffrance que j’avais déjà. On m’a fait une injection pour calmer la douleur. J’ai fini par dormir. Au petit matin, ce fut au tour des docteurs de changer de chiffre. Un peu plus tard, une bonne nouvelle, j’étais ouverte donc le travail devrait se faire bientôt.
Les évènements se sont ensuite déroulés sans aucune douleur physique, à la grande incompréhension de tous. Mais tout ce que j’avais de force m’a lâchée quand j’ai vu sa tête et ses bras inertes. C’est comme si on venait me frapper alors que je suis déjà à terre. Le docteur et l’infirmière font ce qu’ils ont à faire, puis on me pose la fameuse question, est-ce que je veux voir mon bébé. On me présente mon enfant, cette minuscule boule mauve avec tous ses membres, une main sur son cœur, mais sans vie, sans cri, sans geste. On nous explique qu’il était probablement plus vieux que ce qu’on nous avait dit à l’échographie. Puis on nous explique que nous n’avions malheureusement pas terminé notre périple ici puisque le placenta ne sortait pas.
À la suite d'une intervention, la journée a fini par finir. 24 h après être entrés dans la salle d’accouchement, nous en sortions pour de bon. Mais en marchant tout au long du couloir, je me faisais flageller par le bonheur des autres. Les cris du nouveau-né, le couple qui arrive pour donner naissance à leur enfant, le père qui tient fièrement son bébé, alors que nous marchions les bras vides vers l’ascenseur pour aller retrouver le nid douillet que nous préparions pour cet enfant que nous aimons tellement.
Un immense merci à toute l’équipe de l’hôpital hôtel-Dieu de Lévis. Merci d’être restés humains, d’avoir fait preuve d’empathie, de compassion. Nous souhaitons grandement vous revoir dans un contexte plus joyeux.
C'est un texte très touchant et très humble. Merci beaucoup de l'avoir partagé avec nous, qui que tu sois. Mes mots ne t'apporteront aucun réconfort, j'hésite même à les écrire... Je n'ai jamais perdu d'enfant - ce pour quoi je suis très reconnaissante à la vie et, bien sûr, j'espère partir avant eux. Mais, sans avoir le culot de te dire que je te comprends, je me rappelle la sensation de vide que j'ai éprouvée après mes accouchements, quand mes enfants n'occupaient plus mon "sac de grossesse", le manque de les sentir bouger en moi alors que j'ai eu la chance de les tenir dans mes bras, bien portants... Donc je peux réussir à comprendre un petit bout de ta douleur même si seule toi peux en mesurer l'ampleur.
Paraît-il que les épreuves difficiles sont faites pour nous rendre plus forts. Je me demande souvent "plus forts pour quoi, si on a justement perdu le quoi qui nous donnait notre force ?!". Je ne peux que t'envoyer de l'amour et te promettre que ça ira mieux. Tu n'oublieras jamais (il ne faut surtout pas), ta vie ne sera plus comme avant, TU ne seras plus comme avant, tu le sais déjà. Mais je suis certaine que la "nouvelle" toi sera plus forte. Tu l'es déjà parce que, ma belle, réussir à quitter cette douleur quelques instants pour la partager avec nous, c'est déjà faire preuve d'une immense force.
Prends soin de toi, prenez soin de vous, un petit pas à la fois.
V.
Très touchant, j’ai pleuré... Beaucoup de souvenirs me sont revenus comme une vague immense.
Bon courage! Prenez soin de vous. On passe au travers avec le temps, la patience et l’amour...