Penser à mon accouchement imminent commence réellement à me déprimer. Pour ma part, ce sera une césarienne planifiée, ma 4ème. Pour une foule de raisons et d’événements, la vie a fait en sorte que je donne la vie à nos enfants de cette façon. Je suis donc rendue habituée au processus, c’est toujours le même gynécologue qui pratique l’intervention. Au moins c’est rassurant de ce côté. Mon chum et moi savons comment le tout se passera, il n’y a plus vraiment de surprise rendu à la 4ème fois. Par contre, avec la pandémie mondiale que l’on vit présentement, je dois me résigner à faire face à l’inconnu et plus ça approche, plus je suis terrorisée.
J’y pense sans arrêt, jour et nuit, je cherche des solutions ou des idées qui pourraient changer le cours des événements, mais je dois me rendre à l’évidence qu’il n’y a aucune autre option que celle-ci : je devrai me rendre à l’hôpital seule pour toute la durée de notre séjour à bébé et moi. Plusieurs hôpitaux interdisent déjà d’avoir un accompagnateur, encore plus pour des césariennes. Dans notre cas, c’était déjà un casse-tête de savoir où nous ferions garder les 3 cocos pendant mon séjour à l’hôpital, car mon plus vieux est un grand anxieux et est incapable de dormir ailleurs qu’à la maison. Donc, pour moi, il n’était déjà pas question que mon chum reste dormir à l’hôpital, j’avais prévu passer les nuits seule. C’était déjà beaucoup dans ma tête. Je me demandais avec quelle énergie j’allais passer ma première nuit seule alors que j’arrive à peine à me relever dans mon lit. Mais, pour mes enfants je trouve toujours l’énergie. Je me disais donc que ce serait ok et que c’était la meilleure solution pour tout le monde.
À présent, c’est différent. Non seulement je dois planifier passer mes nuits là-bas seule à me débrouiller avec la petite au travers ma propre guérison de chirurgie, mais je dois accepter de faire tout le processus seule. Arriver aux petites heures du matin, me diriger vers le bureau du gynécologue où l’infirmière me fera des prises de sang, boire un liquide douteux, me rasera la bedaine. Ensuite, elle stationnera mon lit tout près des portes battantes des salles d’opération, j’attendrai qu’on vienne me chercher pendant ce qui me paraitra des heures. Finalement, on me transportera dans une salle, m’installera la péridurale, je verrai la dizaine de gens habillés en vert sauge autour de moi s’activer pour tout préparer (avec des masques et des gants cette fois-ci) et l’anesthésiste me parlera non-stop de la pluie et du beau temps juste pour voir si je suis dans les vapes ou si je suis encore lucide. On préparera les couvertures chaudes pour accueillir le bébé, on me fera choisir un petit bonnet de laine pour elle et une fois que je serai bien gelée, le gynécologue fera son entrée. En temps normal, c’est à ce moment qu’une infirmière irait chercher mon chum pour le faire entrer, mais pas cette fois. Je devrai continuer de fixer la grosse lampe en haut de moi avec ses centaines d’ampoules blanches, vertes et bleues tout en retenant mes larmes de panique. Comme mon gynécologue est assez rapide dans son exécution d’une césarienne, je ressentirai bientôt une grosse pression sur mon ventre qui me coupera le souffle pendant quelques longues secondes avant d’entendre mon nouveau-né pousser son premier hurlement. Je ressentirai alors un énorme choc électrique d’amour infini à l’intérieur de tout mon corps, mais je ne pourrai pas le partager au travers des yeux de mon amoureux. Il ne pourra pas faire de vidéo des premières minutes de vie du bébé, alors qu’elle aura les yeux grands ouverts à se demander d’où vient toute cette lumière aveuglante et ces bruits étranges. Pourrais-je même avoir des photos de ces moments précieux qui ne reviendront jamais ? Y aura-t-il quelqu’un de disponible pour ça?
Ensuite c’est l’inconnu qui commence, en temps normal mon chum part avec le bébé et l’infirmière pendant qu’on referme ma plaie et qu’on me transfère en salle de réveil. Je n’ai aucune idée de comment les choses se passeront, qui prendra soin de ma puce pendant que je ne peux pas bouger du lit ? Ou seront mes valises pendant tout ce temps? Comment je ferai pour ne pas me demander toute ma vie s’ils se sont trompés de bébé à la pouponnière ? (J’avoue, c’est une peur ridicule. Je le sais, mais c’est plus fort que moi!) Comment je ferai pour changer les couches et allaiter ma poulette alors que je passe plusieurs heures à vomir ma vie après être arrivée dans ma chambre? Comment je retournerai chez moi à la fin de notre séjour, en chaise roulante avec la coquille sur les genoux, nos valises et tout?! Si je me mets à faire de la fièvre ou à tousser, vont-ils me séparer de ma petite en attendant de me faire passer le test du COVID-19? Et si une infirmière ou un médecin qui vient nous voir nous transmet le virus, que se passera-t-il?
J’ai beaucoup trop de questions qui me traversent l’esprit le jour et surtout la nuit. Comme c’est encore dans 3 semaines, je suis dans le néant total car c’est impossible de prévoir quelles seront les mesures en vigueur rendu à ma date. Ça change tellement vite que je ne peux pas me fier aux témoignages de celles qui viennent d’accoucher. Je dois prendre mon mal en patience et espérer que tout aille pour le mieux. Ce qui me terrorise le plus dans tout ça c’est la profonde solitude qui m’habitera pendant tout ce temps. J’ai peur de craquer et de ne pas être assez forte. J’ai peur que ma princesse ressente ma détresse à travers mon énergie au lieu de ressentir tout mon amour. J’ai peur que ma césarienne ne se passe pas aussi bien que les trois autres et d’être paniquée seule et sans défense. J’ai peur que si la petite a un problème, je ne pourrai pas la suivre pour m’assurer de son état, personne de sa famille ne sera à ses côtés pour lui envoyer de l’amour. J’ai peur d’avoir peur. S’il y a bien une chose qu’on ne peut pas prévoir et qu’on n’apaise pas avec des « Ça va bien aller », ce sont les possibilités qu’elle ou moi ayons des problèmes suite à la naissance. Je serai clouée à mon lit pendant quelques heures alors mon impuissance me terrifie. Je sais que j’ai une force intérieure immense, mais pour une rare fois dans ma vie, j’ai la crainte de ne pas y arriver.
Je sais que plusieurs mamans ont déjà accouché seule, des mamans monoparentales ou celles que leur conjoint(e) n’a pas pu se rendre à temps. Je sais que c’est possible d’y arriver. J’entends déjà les commentaires du genre « oui mais dans le temps, les femmes accouchaient seules et elles ne s’en plaignaient pas ». J’en conviens, mais ce n’est pas pour rien que les conventions changent, avec le temps on améliore les choses et de toute façon les papas n’ont pas du tout la même implication qu’ils avaient il y a 50 ans. Donc, je ne vois aucunement le but de comparer les époques.
Je dois avouer que pour ajouter à tout ça, passer plusieurs jours et nuits sans mes grands est un sentiment terrible pour moi. Ça ne m’est jamais arrivé d’être séparée d’eux plus d’une nuit et cette fois-ci je dois simplement accepter que je les verrai seulement à mon retour à la maison. Je sais profondément qu’ils seront chamboulés de mon absence, ils sont déjà bien perdus avec les écoles fermées et toute la situation qu’on vit depuis plusieurs semaines. Bien sûr, on abusera de FaceTime et de l’envoi de photos et vidéos, mais juste la pensée de ne pas les serrer, les sentir et les bécoter pendant si longtemps me fend le cœur. Lorsque je serai de retour, leur vie sera changée à jamais avec ce nouveau membre de notre famille.
La fatigue de fin de grossesse mélangée avec les grosses inquiétudes de ce foutu virus et tout ce qu’il implique me font paniquer. J’espère trouver la force et l’énergie au profond de moi pour surmonter tout ça et je souhaite que cela deviendra tout simplement une anecdote cocasse quand on racontera l’arrivée de notre puce parmi nous. Elle sera spéciale jusqu’au bout cette petite princesse surprise ! Du jour 1 jusqu’à son entrée dans ce monde, elle me fait comprendre que je ne contrôle pas tout et que des fois, la vie décide pour nous de comment les choses se passeront et que c’est correct ainsi. Je comprendrai sans doute les raisons de tout ça plus tard. Après tout je suis bien chanceuse de pouvoir donner la vie à nouveau et de passer quelques jours dans une bulle d’amour qui n’appartiendra qu’à elle et moi. Je suis certaine que ce sera rempli d’une magie nouvelle qui rendra cet accouchement unique et différent, comme tous les accouchements finalement !