Mon bébé. Je m'excuse. Après 17 semaines de grossesse, je t'écris pour la première fois et ce n'est même pas pour te dire à quel point ta présence en moi me comble de joie.
En vérité, il y a quelques jours, mon matin a été sombre. J'ai reçu un téléphone qu'aucune mère ne veut recevoir : ma médecin m'a appelée pour me dire qu'il y avait des chances que tu aies une trisomie… une chance sur 240, précisément. J'aurai une échographie le 21 mars prochain pour voir si on peut détecter une anomalie physique et on verra ensuite s'il faut une amniocentèse, une prise de sang ou autre. Je t'avoue que ce n'est pas du tout ce que j'avais envisagé comme grossesse… À ce stade, je devrais être excitée de bientôt connaître ton sexe, mais là, c'est plutôt le nombre de chromosomes que tu as qui m'intéresse. Ou plutôt, qui m'angoisse.
Rationnellement, je sais que ce sont que des chiffres et que je pourrais me dire que c'est donc 239 chances sur 240 que tu sois «normal». À 1/300, les médecins n'appellent pas leurs patientes. Mais cette petite chance unique, ce petit 1, cette probabilité que tu ne sois pas comme les autres, elle me terrifie.
J'ai le cœur brisé car je suis ta maman et je ne veux pas que l'enfant différent que tout le monde regarde avec amusement, méfiance ou pitié, ce soit le mien. Je ne veux pas qu'on te regarde autrement que pour se dire comment tu es mignon. Je ne veux pas que tout soit un défi pour toi. Je ne veux pas que ton innocence soit l'objet de la méchanceté des autres enfants.
En plus, je vais te le dire, je culpabilise parce que le fait que tu puisses être atteint de la trisomie me fait dire que tu ne serais pas parfait. Qui suis-je pour dire ça? Tu serais parfait à ta façon… mais je suis tellement dépassée présentement que je n'arrive pas à mettre des mots clairs sur ce que tu serais.
Et puis je m'en veux parce que j'ai déjà osé envisager la suite, avant même d'avoir des résultats officiels. Je me suis posé la question qui tue : qu'est-ce qu'on va faire si le diagnostic tombe? Je ne veux tellement pas avoir le fardeau de prendre une décision quant à ton avenir... Je t'ai senti bouger, je t'aime déjà de tout mon cœur, je ne peux pas m'imaginer mettre fin à ma grossesse, sachant que tu pourrais très bien vivre. C'est terrible d'avoir à décider de ton sort ainsi!
Mais, s'il fallait qu'on vive avec un enfant trisomique, je me suis demandé si on en serait capables, papa et moi. Et puis il y a ton grand frère, aussi. Je sais que tu nous apporterais du bonheur, et beaucoup. Tous ceux que j'ai croisés étaient toujours débordants de joie, il me semble. Tu nous ferais voir la vie autrement, c'est certain, mais il y a certainement des jours où ce serait très difficile. Tout dépend du degré de déficience et des retards qui accompagnent cette particularité génétique… Et on ne peut pas savoir d'avance.
Et puis je m'excuse encore, car avant ce 1/240, il y eu a cette vidéo qui circulait et que je m'étais fait un plaisir de partager. C'était des jeunes avec la trisomie qui rassuraient les futurs parents pour qui le verdict de trisomie était positif. Ça disait que tu pourrais être fonctionnel, que tu pourrais travailler, avoir ton appartement, me dire «je t'aime» quand même. C'est si facile de trouver ça beau, quand c'est l'histoire des autres. Et si la nôtre n'était pas si rose?
J'ai d'ailleurs revu cette vidéo il y a quelques jours. Et une autre, puis une autre. Et une affiche de sensibilisation et plein d'autres publications. Je trouvais les astres drôlement alignés… Et puis j'ai compris… le 21 mars, c'est la journée mondiale de la trisomie 21. Est-ce un signe? La journée de l'anniversaire de papa. La journée où on saura ce qu'il en est de ta génétique. Ce sera une grosse journée pour nous.
Je vais tenter de chasser toutes ces idées de mon esprit jusqu'à ce qu'on sache à quoi s'en tenir.
Sache une chose, mon bébé : Je t'aime, quoi qu'il arrive et quelle que soit la suite…
* J'ai commencé à écrire ce texte il y a presque un an. J'ai eu beaucoup de mal à trouver les mots, et je ne suis pas encore certaine d'avoir utilisé les bons. J'espère ne froisser personne.
Mon bébé a aujourd'hui presque 7 mois et finalement, il a le bon nombre de chromosomes.
Je salue toutes les mamans qui ont dû prendre une décision concernant leur enfant porteur de trisomie. Peu importe l'avenue empruntée, je sais qu'il vous a fallu beaucoup de courage et je vous lève mon chapeau bien haut. <3